Torment Tides of Numenera (test par Ouil of ze be holder)

par Ouil of ze be holder


Attendu comme le messie du C-RPG ressuscitant l’Âge d’or des années 90, Torment : Tides of Numenera se revendique héritier spirituel de l’excellent «   Planescape Torment ». S’il réussit côté originalité du cadre, il semble aussi que le soft ait émulé et amplifié les quelques tares de son illustre et légendaire ancêtre. Survendu dans un buzz à la limite de l’escroquerie , Torment 2017 souffre d’un manque grave d’ambition, de finition, et décevra sans doute les attentes des anciens, des financiers, et des fans des C-RPG old-school. Pour les autres, il restera comme un soft sympa sans plus, avec des lourdeurs narratives.

Le futur, dans longtemps. Le « 9e monde » est un dépotoir érigé sur des ruines. Partout, des traces de civilisation éteintes qui apportent leur lot de sites radioactif et de voyageurs tridimensionnels bloqués dans le district 9 global qu’est la terre. Là, les humains ont presque tous régressés à un niveau technologique primitif et se livrent une guerre sans fin. Elle oppose les adeptes du dieu changeant, dont la conscience se téléporte de corps en corps, et ses reliquats, les personnalités immortelles qui émergent spontanément après le départ de son ego.

Vous aimez ce screenshot? Dommage, il n’apparaît pas dans le jeu. Comme nombre de « bonus » de financement.

Vous êtes un reliquat, qui s’éveille à la conscience en chute libre au-dessus du 9e monde. A l’atterrissage, vous vous retrouvez dans votre propre tête (avec plus de monde dedans qu’à la Samaritaine pendant les soldes) pour le désormais classique tutoriel initiatique/création de personnage. L’évocation de vos souvenirs vous permettra de choisir entre un guerrier (Glaive), un roublard (Jack) ou un mago (Nano) doublé d’un archétype de personnalité (hipster, bisounours, pervers narcissique, etc etc).

Coté feuille de perso, on est dans du basique. Trois caractéristiques : puissance, dextérité, mental sont utilisables comme « pool ». Ce qui signifie que vous pouvez (et devrez) dépenser des points de celles-ci pour réussir vos actions en augmentant le pourcentage de réussite. Si le jeu insiste sur l’intérêt narratif d’échouer « pour des résultats intéressants », vous n’aurez guère de problèmes à sélectionner 100% au début en claquant quelques points. Plus tard, des atouts (des points gratuits) feront qu’en choisissant le bon personnage vous pourrez atteindre les 100% par défaut assez facilement.

Pour calculer ce pourcentage, le jeu utilise des compétences déclinables en 3 niveaux, avec un niveau inapte qui fournit des malus. Hum… Des compétences à 3 niveaux… Arrivé à ce stade-là, le joueur rusé commence à se dire que le jeu ne doit pas être bien long, et il a raison. Il y a dans Torment 4 niveaux pour vos personnages. Les développeurs ont saucissonné ceux-ci en morceaux et chacun de ces quarts de niveaux vous permet au choix d’augmenter les caractéristiques/les compétences/les atouts. Concrètement on arrive au niveau 4 bien avant la fin du jeu, et le compteur de XP s’arrête. Brutal.

Pour mon Nano, j‘ai compté une petite dizaine de sorts au total, et pour les autres personnages 5-6. Ça fait un peu pitié quand le moindre A-RPG vous offre en 2017 des bons gros arbres de compétences et des sorts sur mesure. Reste un vaste choix de Cyphers, des objets non réutilisables à la manière d’un parchemin ou d’une potion SF, des artefacts et des armes qui apportent leurs lots de capacités. A saluer cependant, les objets de type « curiosité » juste bon à revendre (un peu comme les gemmes dans un médiéval-fantastique) disposent de description soignée et de leur propre atmosphère assez glauque.

Je veux lui taper dessus, pas animer une thérapie de groupe

Pour gagner de l’expérience, vous devrez parfois recourir  aux combats au tour par tour (les cadavres ennemis ne donnent aucun XP) . Ceux-ci sont ridiculement faciles, ce qui en neutralise toute la portée stratégique. Il est d‘ailleurs possible d’interagir avec vos ennemis (« ne pourrions-nous pas plutôt vivre en paix et cueillir des pâquerettes ? ») et des éléments du décor (« si je reroute le flux protonique de ce lampadaire, il est possible de recalibrer la matrice de puissance »). Hélas, on est tellement frustré par le faible nombre de batailles (une douzaine dans le jeu environ) qu’on préfère souvent viander pour retrouver les joies simples et primaires du critique dans ta face que s’adonner à ces télétubberies MacGyveresques.  Et pourtant je suis plutôt un joueur diplomate d’habitude.

C’est que ces occasions de faire fermer sa gueule au soft sont trop rares.

Et oui, ca parle, parle, parle. Trop. Au début, on s’enchante de découvrir ce monde bizarre à travers un avatar aussi candide que nous. Avec ses termes obscurs, sa géopolitique tordue, son histoire millénaire.

Malheureusement Torment Tide of Numenara s‘écoute surtout parler. Votre attention est accessoire. D’ailleurs, pourquoi s‘encombrer à faire un Codex (ou un bréviaire comme dans Tyranny) à l’heure où même Doom en propose un?  Ne restent que des poncifs et des PNJ maîtres de conférences qui voyagent dans le temps, sont doués d’ubiquités, et à qui on a envie de dire en pleurant : « c’est moi le héros dans cette histoire, pourquoi le premier clodo venu a l’air plus puissant, plus intéressant, que moi et ma pauvre histoire bateau d’élu imprégné du pouvoir d’un dieu ? ». Ces PNJ sont injustement sous-exploités, et n’offrent pas vraiment de quêtes autres qu’une bonne vieille histoire.

Au moins les 2-3 dessins des flashbacks sont jolis. Mais ces récits n’influent guère l’histoire.

Pour décrire ce verbiage incessant, cette orgie de mots compliqués de plus de 5 syllabes je ne vois qu’un poncif : Matrix 2. Vous savez ce navet pompeux bourrés de phrases obscures qui se donne l’air mystérieux en racontant des conneries. J’aime -comme bien des rôlistes-  siroter une tasse de thé en bookinant dans Elder Scroll ou les longues histoires de Shadowrun (un autre jeu bavard). Mais là, c’est trop, c’est lourd. Le moindre objet vous raconte sa vie. Il parle tellement qu’il radote : oh, encore un truc-mysterieux-non-euclidien-et-organique-qui-vibre-dans-plusieurs-dimensions. Ça faisait bien 3 minutes qu’on en avait pas vu un. Même les bonnes idées novatrices (lire les pensées de surface, laisser vos équipiers faire vos jets de compétence) ne se traduisent que rarement par des choix améliorés d’interaction.

Sérieusement, NON. Pas moyen.

Pour moi, la recette d’un bon RPG, c’est 1/3 combat, 1/3 exploration, 1/3 blabla. Prenez Baldur’s Gate, Fallout 2 ou Arcanum par exemple : quand on en a marre de résoudre des quêtes en ville direction le donj’ pour se défouler, ou la campagne pour étendre l’horizon des possibles.

Torment fait dans le 80% blabla, 10% combat, 10% exploration.

C’est un peu le syndrome de Stockholm du fun : les possibilités de se promener hors des 5 ou 6 écrans auquel vous aurez droit à un instant T sont… nulles. Chaque chapitre vous téléporte dans un mini-hub où vous ferez vos petites affaires, et puis bye-bye, vous ne reviendrez pas. D’ailleurs il n’y a pas de carte du monde pour les déplacements. On se déplace en… parlant au terme d’une quête.

Imaginez le potentiel narratif d’un monde où la technologie se confond avec la thaumaturgie, les prodiges des civilisations, les dimensions parallèles, les vestiges aliens.  Les paysages déments. Imaginez cela et maintenant intégrez-le dans des … textes. Vous ne pouvez pas passer derrière le carton peint et toutes les alléchantes intrigues resteront de vagues concepts lointains évoqués plutôt qu’abordés. Pour un jeu développé depuis 5 ans on sent bien qu’un effort graphique et textuel a été fait, mais vous serez essentiellement passif avec un choix d’actions limité.

C’est quand même beau. Et animé, mais le choix de lieux est minuscule et on avance sur une voie ferrée

Ce cadre ultra-dirigiste est une grande trahison de la promesse d’un monde ouvert. Torment est donc bien timoré, presque timide dans son approche, et il n’arrive pas à ressusciter le frisson des C-RPG 90’s. Graphiquement, le soft est soigné, avec des décors détaillé et animés sur des cartes assez petites et des animations correctes mais basiques. Quelques bugs (affichage, plantage ou code d’erreur dans la localisation) gâchent régulièrement le plaisir et l’immersion. Musicalement j’ai trouvé ça assez indolore. La fin arrive un peu comme un cheveu sur la soupe, sans gros climax, et l’explication finale rentrera au top 3 des fins « what the fuck », juste après l’insupportable Fahrenheit et Mass Effect.

Bref, Torment est un petit jeu survendu qui souffre d’avoir trahit ses promesses. D’ailleurs certaines captures d’écran sont introuvables dans le jeu, les bonus de dépassement du financement participatif ne sont pas tous livrés (où sont les PNJ supplémentaires, le codex, le crafting, la « grande Oasis » ?) sous prétexte de « nuire à la narration » (bah tient…). Là on sort des problèmes de développement pour rentrer dans la quasi-escroquerie.

Si ce contenu textuel imposant avait été un peu rallongé et valorisé par plus de lieux à explorer, de combats, de compétences, de niveaux, d’heures de jeux, et de libre arbitre Torment avait le potentiel d’être un classique. On en revient un peu à ma critique de Shadowrun HK, les jeux crowfundé ont parfois un petit air de paresse, un coté minimum syndical « puisqu’on a des  ténors du gaming, on va marketer Brian Faro ». Ou alors peut etre qu’ils ont pas trop écouté les alpha/béta-testeurs. Allez savoir.

Notes

Graphismes & Sons : 4/5

C’est beau et animé. Les cartes sont petites par contre. la musique ne m’a pas marquée.
Interface de combat : 3/5

Service minimum. Classique movement/action. On a du mal à cibler les sorts et se déplacer sans perdre son tour. De toute façon vu le nombre de combats et leur facilité…
Scénario : 3/5

Au final pas mal de mots compliqué pour une histoire-clone SF de Torment: Planescape. D’excellentes idées, sous-exploitées. D’autres moins bonnes.
Jouabilité (fun) : 3/5

Là ça dépendra de vos attentes et de votre style. Mais si c’est pour « juste » lire de la SF, un bon petit Peter F Hamilton, ou un Alasteir Reynold vous esquintera moins les yeux et fera preuve d’un peu plus d’ambition dans la mise en scene.

Loin d‘être un classique, ce Torment-là ne fera pas date dans l’histoire vidéoludique, mais pourrait vous apporter quelques dizaines d’heures de distraction, moins si vous lisez vite. Je lui donne un 6/10 au lieu d’un 7/10 (c’est pas non plus une purge) pour nous avoir vendu du rêve, les bugs relous, et enfin l’escroquerie aux bonus de financement.