Game of Thrones

Cyanide n’est pas particulièrement connu pour ses jeux de rôles, mais plutôt pour leurs excellents jeu tactique de foot médiéval fantastique, Chaos League / BloodBowl. On jettera un voile pudique sur le massacre qu’ils ont réalisé avec le hack’n slash Loki, que l’on préfèrera oublier.

Se lancer sur une licence telle que Game of Thrones était un sérieux défi. Les livres de George R. R. Martin sont des livres de Dark Fantasy particulièrement denses et touffus, que ce soit au niveau de la richesse du monde, mais aussi et surtout du jeu de pouvoir des différents protagonistes. Reproduire la richesse des relations des grands du monde de Westeros sans pour autant s’engager sur la pente glissante de reproduire l’histoire racontée dans les livres ne devait pas être une sinécure. Il fallait trouver à la fois une histoire originale sans influencer sur le déroulement de l’intrigue du livre, mais suffisamment intégrée dans Westeros et dans la vie de ses protagonistes.

Graphiquement, Game of Thrones est assez inégal. Il faut reconnaître que le jeu est techniquement loin de proposer la débauche d’effets graphiques que nous a proposé les derniers jeux de la concurrence. Quelque part, on a droit à un jeu qui se présente comme certains titres des trois dernières années et à ce jour, nombre de programmeurs sont capables d’avoir un rendu de textures et de végétation bien plus agréable que celle offerte par le titre de Cyanide. Mis à part quelques problèmes de caméra souvent trop proche, on notera aussi les animations, souvent trop peu nombreuses, mettant les protagonistes entrant dans des discussions dans des postures maintes fois utilisées et parfois risibles. Pourtant, Game of Thrones est loin d’être laid. Au niveau du design, on apprécie grandement la reproduction du monde. Les visages et les costumes sont crédibles, l’architecture est bien rendue, et le monde de Westeros est particulièrement réussi. C’est sombre, réaliste, tout à fait dans le style de l’oeuvre. Certains endroits seront d’ailleurs particulièrement réussis et on appréciera particulièrement le fort de la Garde de Nuit, l’intérieur du palais du Donjon Rouge, et le rendu d’autres endroits familiers aux adeptes de la série. Il faut noter un doublage français tout à fait honorable, même si la synchronisation labiale est parfois complètement à la ramasse.

Au niveau du développement des personnages du joueur et des combats, il faut noter que Game of Thrones est avant tout un jeu qui raconte une histoire, ou plutôt l’histoire de deux protagonistes à l’origine et au passé très différents dont les pérégrinations finiront par les faire se rencontrer. Ici point de création d’un personnage que le joueur personnalisera totalement pour parcourir l’aventure jusqu’à la fin. On incarne tour à tour Mors, un vieux patrouilleur de la Garde de nuit, dit « Le Boucher », guerrier pouvant diriger son chien par la pensée et défenseur fidèle de son serment de défendre le Mur, et de l’autre coté on incarne Alester, un noble adepte du culte de R’hllor revenu après 15 ans d’absence pour assister aux funérailles de son père, le régent Sarwick.

Si le joueur ne peut choisir les deux personnages qu’il incarnera, il a pourtant le loisir de les personnaliser dès le départ de l’aventure de chacun. Chacun des deux personnages aura le choix entre trois classes, chacun des classes donnant des bonus d’évolution sur certaines de leurs compétences. Ainsi, Mors pourra se focaliser vers un combattant orienté attaque,  équilibré ou plus défense, avec des armes et armures plus ou moins lourdes. Alester, quant  lui, aura droit à une classe oscillant entre le mage et le voleur (danseur d’eau,…). On notera aussi un système de traits similaires à la série Fallout, qui donnera des bonus couplés à certains malus en fonction des choix du joueur. L’évolution du personnage se fera à chaque montée de niveau, où le joueur aura le loisir de choisir un des pouvoirs dans l’arborescence propres à sa classe, mais aussi de monter des compétences telles que les armes tranchantes, contondantes, les armures légères, lourdes ou intermédiaires, etc… Bref, à ce niveau là, un système de jeu de bon niveau et des personnages intéressants à développer.

Les combats sont pour ma part, la bonne surprise du jeu et indiscutablement l’un de ses points forts. S’ils se présentent à la base comme des combats en temps réel, ceux-ci nécessitent l’usage de la barre espace afin de mettre le jeu en mode (très) ralenti, afin de donner les ordres de combat et d’utiliser intelligemment les compétences des protagonistes. On se retrouve alors dans un mode permettant de donner des ordres et d’élaborer des tactiques, tout en maintenant un sentiment d’urgence et une certaine pression, puisque le combat n’est pas arrêté, mais simplement ralenti. Autant dire que le système est génial, et allie pour la première fois avec intelligence le temps réel et le système de combat tour par tour. Chapeau bas ! C’est un modèle à retenir et on espère bien le revoir à l’avenir.

Afin de vaincre, il faudra utiliser des compétences empêchant les adversaires d’agir de manière efficace, utiliser des compétences de dégâts, qu’ils soient ciblés, de zone, ou tout du moins utiliser la synergie possible entre différents pouvoirs dont les effets sont susceptibles de se cumuler. Les combats sont ainsi intéressants et bien rendus, et les possibilités sont multiples. On regrette un peu le faible nombre de protagonistes, la plupart des combats se déroulant avec deux personnages à gérer (+ le gros toutou de Mors, lorsqu’on joue ce personnage). C’est un peu dommage, car cela empêche le jeu d’exprimer ses qualités tactiques jusqu’au bout. Au final on a un peu tendance à utiliser les mêmes compétences, surtout au début du jeu où les pouvoirs et coups spéciaux sont réduits. On apprécie toutefois grandement la venue d’un titre mettant enfin un peu nos neurones à contribution plutôt que nos réflexes dans la résolution des combats.

Le scénario était le point le plus « casse-gueule » pour Cyanide. Il n’est jamais évident de proposer une aventure intéressante lorsque l’intrigue principale résulte d’un livre (et de la série TV éponyme). Autant le dire tout de suite, nos petits français ont relevé le défi avec brio. A aucun moment ils n’ont sombré dans le piège de trop s’éloigner de l’intrigue des livres, ou de donner au joueur le contrôle des protagonistes décrits par Georges R. R. Martin. On évite aussi le manichéisme souvent trop présent dans les jeux de rôles. Il n’y a pas de bons, pas de méchants, simplement des personnages avec leur passé, leurs motivations qui justifieront les actes pas toujours reluisants qu’ils accompliront. On apprécie aussi par ailleurs le personnage de Mors, ce vieux Garde de Nuit sur le retour, aigri à souhait, mais fidèle à son serment et d’une loyauté sans faille, quitte à sacrifier tout ce qui lui est cher pour son honneur, mais aussi le personnage d’Alester, qui semble au début plus creux, mais qui au final se manifeste comme étant d’une personnalité extrêmement complexe, déchiré entre son sens de l’honneur, de la loyauté envers le royaume et ses sentiments ainsi que son ambition. Games of Thrones n’est pas un jeu pour les enfants, et reste l’un des rares jeux qui peut se targuer d’un scénario sombre et mature, très fidèle à l’oeuvre de Georges R. R. Martin. L’histoire commence avec Mors qui part à la poursuite de l’un de ses amis de longue date, déserteur qui s’est aventuré au-delà du Mur après avoir assouvi sa lubricité sur une jeune recrue qui n’a pas survécu à l’aventure. Le ton est donné. Je ne rentrerai pas dans le détail sur la suite de l’aventure, avec les intrigues politiques d’Alester montrant bien la faible valeur de la vie humaine face au jeu du pouvoir et à ses ambitions. Pour couronner le tout, le jeu offrira certains rebondissements sur la fin qui risque de laisser le joueur pantois.

Vous l’aurez compris, le scénario est le point fort de ce jeu de rôle atypique, soutenu par un univers riche et cohérent, que le joueur pourra approfondir en parcourant les nombreuses entrées du codex s’étoffant au fur et à mesure de l’avancée du joueur. A aucun moment vous aurez à combattre sans raison des centaines de rats dans un tunnel, à parcourir des terres histoire de trouver des combats, du butin et monter de niveau. Chaque ennemi aura une raison d’être là, et le ratio nombre de dialogues / combats sera, une fois n’est pas coutume, bien en faveur des dialogues.

Le plus gros défaut de ce titre reste quelque part le pendant de ce scénario touffu. Si le joueur aura des choix de dialogues se présentant de manière semblables à ce que nous avait habitué Bioware, avec certaines répercussions sur le scénario principales, au niveau de l’exploration et des détails du monde on est aussi dans la portion congrue. Le jeu est avant tout linéaire. Le joueur parcourt le monde en suivant successivement les zones prévues par le scénario telles des couloirs, sans pouvoir vraiment s’en écarter. Si cela n’est pas gênant lorsqu’il s’agit de sortir d’un bâtiment, c’est autre chose lorsqu’il s’agit d’explorer une forêt ou de découvrir une ville. Dans tous les cas, même si plusieurs chemins peuvent être parcourus, on finit toujours par aller à son objectif, à l’autre bout de la carte, sans jamais avoir la moindre impression de liberté. Même dans les villes, où l’exploration est plus ou moins libre, certaines charrettes barrent les rues, afin d’orienter le joueur à passer à certains endroits avant d’autres. Quelque part, on finit par ne plus regretter ce manque de liberté, tellement celles-ci sont inintéressantes à explorer. Les personnages y vivant restent relativement figés, ça manque de vie, elles ne sont là que pour le décors et on est loin de la richesse des villes de The Witcher 2 ou de Skyrim,. On note un manque de détails et de finition certain à ce niveau, et c’est bien dommage et en plus, on repasse plusieurs fois aux mêmes endroits.

Plus gênant encore est l’impression d’évoluer dans ce monde figé dans lequel les interactions avec les objets sont en plus très artificielles. Que nombre de bâtiments ne peuvent être explorés est une chose, mais que l’intérieur des bâtiments ne soit que des décors sur lesquels on ne peut interagir est plus gênant. Ici et là seront répartis des icônes qui apparaitront lorsqu’on s’approche de certains objets, et cela permettra au joueur de ramasser ce qui se trouvera sur l’objet en question. Ainsi, il ne sera pas rare en pleine ville de s’approcher d’un objet quelconque, un sac, un tonneau, un puis, pour voir l’icône apparaître. Un clic dessus donnera le plus souvent au joueur des pièces d’or (?), des objets (tiens, une armure ?) ou pire, fera apparaître certaines entrées et informations dans le codex du jeu, malheureusement en général sans rapport avec l’endroit exploré. Trouver ces icônes est parfois une gageure, fort heureusement le chien de Mors sera souvent à même de trouver des trésors cachés, ou de suivre des odeurs.

A noter d’ailleurs que le pouvoir de Mors de fusionner avec le mental de son chien sera fort utile et fera partie intégrante du jeu. Que ce soit pour suivre la piste d’une odeur, sentir la peur d’un interlocuteur ou bien entendu de contribuer aux démêlées belliqueuses de son Maître, celui-ci se montrera d’une grande aide.

En conclusion que dire de Game of Thrones ? Il s’agit d’un jeu de rôle aux mécanismes assez « old school » qui plaira à ceux qui cherchent avant tout un gros scénario, avec des dialogues intelligents ayant une incidence sur l’histoire. Les combats sont réussis et intéressants avec le système de ralenti. Par contre, les fans d’exploration cherchant un monde immense à explorer avec moultes extérieurs, passez votre chemin, à ce niveau, le jeu est complètement à la ramasse. Je vais sans doutes en faire hurler quelques uns, mais quelque part, si je devais le comparer avec d’autres jeux, celui le plus rapprochant au niveau de ses mécanismes est le bon vieux Star Wars Knight of the Old Republic, mais avec des dialogues plus matures, une histoire plus fouillée et plus intéressante. Pour ma part, Game of Thrones a été une excellente surprise et s’il tient difficilement la comparaison avec certains mastodontes récents en raison de la faiblesse du coté exploration et de son extrême linéarité, il reste un jeu passionnant de par son scénario et un jeu à recommander chaudement pour les vrais fans de jeu de rôle, pour peu qu’il ne soit pas allergique au monde de George R. R. Martin.

 

Game of Thrones / Cyanide / 2012

Notes

Graphismes et sons : 3/5 (artistique : 4)

Interface de combat : 5/5

Scénario : 5/5

Jouabilité (fun) : 4/5